vendredi 3 novembre 2017

Les baisers de Maupassant

En 1891, Guy de Maupassant répond à une jeune correspondante (Mlle L. Bogdanoff) trop empressée et certainement trop imbue d’elle-même : Je tiens ma vie tellement secrète que personne ne la connaît. Je suis un désabusé, un solitaire et un sauvage. Personne ne sait rien de moi. Je passe à Paris pour une énigme (…)
Dans une lettre à une inconnue Aix-les-Bains, 1890, Guy de Maupassant enrage contre cette vilaine chronique secrète de l'Art, qui fait s'intéresser au lit de l'artiste plus qu'à sa plume. J'ignore  la pudeur physique de la façon la plus absolue, mais j'ai une excessive pudeur de sentiment, une telle pudeur qu'un soupçon deviné chez quelqu'un m'exaspère. Or si je devais jamais avoir assez de notoriété pour qu'une postérité curieuse s'intéressât au secret de ma vie, la pensée de l'ombre où je tiens mon cœur éclairée par des publications, des révélations, des citations, des explications me donnerait une inexprimable angoisse et une irrésistible colère. L'idée qu'on parlerait d'Elle et de Moi, que des hommes la jugeraient, que des femmes commenteraient, que des journalistes discuteraient, qu'on contesterait, qu'on analyserait mes émotions, qu'on déculotterait ma respectueuse tendresse (pardonnez cet affreux mot qui me semble juste) me jetterait dans une fureur violente et dans une tristesse profonde.
En 1889, Guy vient de publier Fort comme la mort. L’histoire d’un amour confrontée au temps.
Elle et Moi. De qui peut-il s’agir ? De Gisèle d’Estoc ? Sa fiche wikipédia la fait naître le 27 mars 1845. Elle avait donc 35 ans en 1880, l'année de leur rencontre, elle serait donc plus âgé que Guy. Cela ne colle pas avec l’histoire de l’androgyne déguisé en collégien. L’autre Gisèle est né en 1863 et à 17 ans en 1880. Je préfère celle-ci mais à chacun de choisir sa Gisèle.
En 1880, Guy a 29 ans, sa dernière nouvelle, Boule de suif le sort de l’anonymat. Il peut renoncer à son emploi de bureau et débuter sa carrière littéraire.
Il est facile de retracer leur quelques mois de libertinage de l'année 1881  en parcourant les lettres de Guy. Quand il baise les mains c’est avant d’avoir conclu et quand la relation se termine. Dans l’intervalle les baisers vont vers une partie plus intime.
La relation libertine de ces 2 amants n’aura durée que quelques mois (de janvier à juillet 1881)
Première lettre (fin 1880 ou janvier 1881): S'il est vrai que vous soyez une femme curieuse et non un simple farceur de mes amis qui s'amuse à mes dépens. Permettez-moi de vous baiser les mains ; c'est un vieil usage que j'adore et qui ne vous compromettra point puisque je ne vous connais pas
Deuxième lettre : Je baise le bout de vos doigts.
Troisième lettre : voulez-vous permettre que je baise chastement vos mains qui ne sont point roses, mais qui sont parfois nerveuses ?
Troisième lettre : Je baise vos mains humblement.
Quatrième lettre (janvier 1881): Permettez-moi de baiser vos deux mains, mais dégantées.
[Vous aurez compris qu’il y a eu rencontre. Mais chaste ce qui surprend chez l’homme connu pour son passé de baiseur acharné, le taureau normand.]
Comme quoi j'ai passé trois heures en tête à tête avec une femme charmante, et comme quoi l'ordre le plus régulier, le plus honnête n'a cessé de régner dans l'appartement et dans tous les objets qu'il contenait.
Cinquième lettre : Mille baisers... partout.
[Vous l’avez compris, il a conclu.]
Je suis plus... faune que jamais !
Sixième lettre : Je vous baise les mains et... le reste,
Septième lettre : Mille caresses sur... toutes tes lèvres.
Huitième lettre : A bientôt, ma chère amie, je vous baise les mains et les deux fleurs de vos adorables nichons.
Neuvième lettre : Je vous baise les pieds... et les lèvres... et je m'arrête longtemps entre les deux extrêmes.
Neuvième lettre : Mille caresses.
Dixième lettre : Mille baisers.
Onzième lettre : Mille baisers. La moitié dans le département Bourget (tête), l'autre moitié dans le département Maupassant (c...).
Douzième lettre : Mille caresses en attendant vendredi.
Treizième lettre : Mille baisers partout.
Quatorzième lettre du 24 avril 1881 : Mille caresses partout, partout...
Quinzième lettre  Mille baisers partout, aux extrémités, sur les pointes et dans les creux.
Seizième lettre  (juillet 1881 départ en Algérie) Tous mes baisers partout.
Dix-septième lettre  Alger, Mille baisers ma belle amie.


Dix-huitième lettre  Oasis de Bou-Saada, 25 août 1881 Adieu ma belle amie, je vous embrasse dans tous les coins et cavités.


Les lettres suivantes font suite à une rupture. Le voyage en Algérie s’est ensuite poursuivie et il fort probable que la fin de l’aventure érotique soit d’avant le voyage.


Dix-Neuvième lettre, 2 janvier 1882,  Mille baisers.


Vingtième 1882 Permettez-moi encore de vous baiser les doigts.


Vingt et unième 1882 Je vous baise les mains.


Le détail de certaines lettres notamment la sixième et la dixième permettent de saisir la relation bi-sexuelle de la jeune fille et un certain goût pour le caudalisme de Guy.
sixième  :
J'ai aussi quelque chose pour vous. Un de mes amis, fort gentil garçon journaliste et romancier, du nom d'Harry Alis, est venu me voir et m'a dit ceci : « J'ai une maîtresse charmante, fort comme il faut, bien élevée, et très naïve, relativement. Elle a une envie folle de goûter d'une femme, ce qui ne lui est jamais arrivé !!! »
J'ai répondu que je pourrai « peut-être » réaliser ce désir. Cela vous va-t-il ? Si oui, vite un mot. Puis voulez-vous venir dîner vendredi ? Nous pourrions alors prendre nos dispositions !...
Dixième lettre :
Ma chère amie,
Il faut absolument que vous veniez dîner chez moi vendredi. Vous y trouverez Catulle Mendès, plus une jeune et jolie femme, son amie, ravagée par des désirs féminins... elle n'en dort plus... et n'a jamais...
Mais par Lesbos, ne soyez pas aussi (comment dirai-je)... prompte qu'avec celle de l'Opéra. Du moment que vous jouez un rôle d'homme, soyez homme, morbleu, et réservée en public !
Hel... qui ne demandait pas mieux, comme vous avez pu le voir d'abord a reculé ensuite devant votre... violence. Comment avez-vous pu être aussi entreprenante devant ces hommes qui ont raconté partout la chose, de sorte que l'amant d'Hel... prévenu a parlé morale et l'a reconquise.
Celle de vendredi est une innocente, mais une innocente toute prête à tomber - mariée - posée. Et ce désir bouillonne en elle tellement qu'à ses heures d'amour elle crie à son amant : « une femme, une femme, donne-moi une femme ! »
Voilà qui peut être adorable.
Quant à moi depuis trois semaines, je vis maritalement avec une douzaine de sangsues qui ne me quittent guère. J'ai migraine sur migraine, et je vis chaste, étant écœuré par l'amour. Mon médecin me crie : « Des femmes ! » J'aime mieux des sangsues. Je trouve décidément bien monotones les organes à plaisir, ces trous malpropres dont la véritable fonction consiste à remplir les fosses d'aisance et à suffoquer les fosses nasales. L'idée de me déshabiller pour faire ce petit mouvement ridicule me navre et me fait d'avance bâiller d'ennui. Je reste stupéfait en voyant des gens prendre des airs exaltés parce qu'ils se passent un peu de crachat, d'une bouche dans l'autre, avec la pointe de leur langue. Tout ça m'embête.
Un mot s'il vous plaît ! Mais venez vendredi. Inventez n'importe quel prétexte. Jamais, jamais, vous ne retrouverez cela !!!!
Les amours lesbiens sont l’occasion de dernières correspondances éparses.


Vingt et unième Fin 1883 : Adieu ma belle amie, je vous embrasse en toutes vos ouvertures !
P.-S. - Ne pas songer à Mlle Hel .... les mauvaises langues la dirent dangereuse en ce moment. Ces dangers sont toujours inutiles à affronter. Mais je connais ce qu'il vous faut, je ne l'ai pas vue cependant. Les renseignements sont excellents
Vingt et deuxième 1884 : Je vous baise les mains.


Vingt et troizième 1885 : Une de nos amies qui dînait hier chez moi m'a laissé comprendre qu'elle serait très heureuse si j'obtenais de vous que vous vinssiez dîner chez moi, avec elle, mercredi prochain.    Si vous voulez bien, Madame, répondre à ce désir, vous ferez un très vif plaisir à celui qui vous l'exprime et à celle qui m'a donné l'audace de vous écrire...

Les deux Gisèles :
    
Marie-Élise Courbe, dite Marie-Paule Parent-Desbarres, naquit à Nancy le 9 août 1863. Elle n'avait donc que 17 ans lorsqu'elle rencontra Maupassant. Le pseudonyme de Gisèle d'Estoc n'apparaît guère avant 1884. Elle se consacre à la littérature et aux beaux-arts, fut l'élève du sculpteur Chapu et servit de modèle à Henner pour son Bara (le jeune héros est représenté nu. Salon de 1882). On signale d'elle des médaillons, exposés au Salon de 1887. Elle a en outre publié quelques écrits, notamment Ad majorem Dei gloriam (1884) ; Les Gloires malsaines (1887), Noir sur blancRécits lorrains (1887). Ce dernier ouvrage est imprimé à Nancy sous le nom de Gyz-El. Gisèle d'Estoc mourut à Nice, vers 1906, à l'âge de 44 ans. Correspondance

Nicole cadène et Gilles Picq Mac Culloch date la naissance de Marie-Élise Courbe en 1845 c’est la source de la fiche wikipédia.

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