mercredi 9 mars 2016

L'assalive ou comment il gridote la trilite


Explorateur du graphisme comme du langage, Michaux surprend toujours par le rythme pur de ses phrases. Un petit recueil, qui fut publié en 1997, avait permis de réunir quelques textes inédits ou publiés dans des revues, mais non repris en volume : A Distance (textes réunis par Micheline Phankim et Anne-Elisabeth Halpern, Mercure de France, 135 pages, 10,67 €). On y retrouve sous le titre « Rencontre dans la forêt » un poème érotique que je tiens (sous ma seule responsabilité) comme l’un des plus beaux de la langue française. Publié dans la revue « Transition » en 1935, puis en plaquette sans nom d’éditeur en 1952, il semble bien un pastiche du « Grand combat » que Michaux publia en 1927. Sa forme même, sans doute, le fit échapper à la censure soucieuse des « bonnes mœurs ». (Thierry Savatier)




D'abord il l'épie à travers les branches.
De loin, il la humine, en saligorons, en nalais.
Elle : une blonde rêveuse un peu vatte.

Ça le soursouille, ça le salave,
Ça le prend partout, en bas, en haute, en han, en hahan.
Il pâtemine. Il n'en peut plus.
Donc, il s'approche en subcul,
L'arrape et, par violence et par terreur la renverse
sur les feuilles sales et froides de la forêt silencieuse.
Il la déjupe ; puis à l'aise il la troulache,
la ziliche, la bourbouse et l'arronvesse,
(lui gridote sa trilite, la dilèche).
Ivre d'immonde, fou de son corps doux,
il l'envanule et la majalecte.
Ahanant éperdu à gouille et à gnouille
- gonilles et vogonilles -
il ranoule et l'embonchonne,
l'assalive, la bouzète, l'embrumanne et la goliphatte.
Enfin ! triomphant, il l'engangre !
Immense cuve d'un instant !
Forêt, femme, ciel animal des grands fonds !
Il bourbiote béatement.
Elle se redresse hagarde. Sale rêve et pis qu'un rêve !
Mais plus de peur, voyons, il est parti maintenant le vagabond
et léger comme une plume, Madame. 


Henri Michaux
Rencontre dans la forêt


Illustration Jean-Pierre Ceytaire



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