dimanche 21 juillet 2013

Musée secret

Des déesses et des mortelles
Quand ils font voir les charmes nus
Les sculpteurs grecs plument les ailes
De la colombe de Vénus.


Sous leur ciseau s’envole et tombe
Le doux manteau qui la revêt
Et sur son nid froid la colombe
Tremble sans plume et sans duvet.


Ô grands païens, je vous pardonne !
Les Grecs enlevant au contour
Le fin coton que Dieu lui donne
Otaient son mystère à l’amour ;


Mais nos peintres tondant leurs toiles
Comme des marbres de Paros,
Fauchent sur les beaux corps sans voiles
Le gazon où s’assied Éros.


Pourtant jamais beauté chrétienne
N’a fait à son trésor caché
Une visite athénienne
La lampe en main, comme Psyché.


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Au soleil tirant sans vergogne
Le drap de la blonde qui dort,
Comme Philippe de Bourgogne
Vous trouveriez la toison d’or,


Et la brune est toujours certaine
D’amener autour de son doigt
Pour le diable de La Fontaine
Le cheveu que rien ne rend droit.


Aussi j’aime tes courtisanes
Et tes nymphes, ô Titien,
Roi des tons chauds et diaphanes,
Soleil du ciel Vénitien.


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Sous une courtine pourprée
Elles étalent bravement,
Dans sa pâleur mate et dorée
Un corps superbe où rien ne ment.


Une touffe d’ombre soyeuse
Veloute, sur leur flanc poli
Cette envergure harmonieuse
Que trace l’aine avec son pli.


Et l’on voit sous leurs doigts d’ivoire
Naïf détail que nous aimons
Germer la mousse blonde ou noire
Dont Cypris tapisse ses monts.


À Naples, ouvrant des cuisses rondes
Sur un autel d’or Danaé
Laisse du ciel en larmes blondes
Pleuvoir Jupiter monnoyé.


Et la tribune de Florence
Au cant choqué montre Vénus
Baignant avec indifférence
Dans son manchon ses doigts menus,


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Maître, ma gondole à Venise
Berçait un corps digne de toi
Avec un flanc superbe où frise
De quoi faire un ordre de roi.


Pour rendre sa beauté complète
Laisse moi faire, ô grand vieillard,
Changeant mon luth pour ta palette,
Une transposition d’art.


Oh ! comme dans la rouge alcôve
Sur la blancheur de ce beau corps
J’aime à voir cette tache fauve
Prendre le ton bruni des ors


Et rappeler ainsi posée
L’Amour sur sa mère endormi
Ombrant de sa tête frisée
Le beau sein qu’il cache à demi


Dans une soie ondée et rousse
Le fruit d’amour y rit aux yeux
Comme une pêche sous la mousse
D’un paradis mystérieux.


Pommes authentiques d’Hespéride,
Or crespelé, riche toison,
Qu’aurait voulu cueillir Alcide
Et qui ferait voguer Jason !


Sur ta laine annelée et fine
Que l’art toujours voulut raser
Ô douce barbe féminine
Reçois mon vers comme un baiser


Car il faut des oublis antiques
Et des pudeurs d’un temps châtré
Venger dans des strophes plastiques
Grande Vénus, ton mont sacré !


Théophile Gautier

J'ai découvert ce poème chez Callipyge publié en 1864 dans le Parnasse Satyrique (nous y faisons souvent référence) il fut écrit en 1850 et ne fut pas intégré au recueil d'Emaux et Camées par crainte de la censure. 1850 c'est l'année du voyage à Venise avec Marie Mattéi.

Nous aimons ce texte pour sa défense du poil publien, du duvet de Vénus et pour cet amour de la Vénus d'Urbino de Titien.
Muse et secret, musc et sucrée, Musée secret car le tableau n'était pas destiné au grand public mais à l'exposition en chambre, musée secret comme le sexe féminin.

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